lundi 16 juillet 2007

Mon grand-père

Mon grand-père paternel m'aimait beaucoup et je l'aimais aussi. Lorsque je suis arrivée au monde, il demeurait le seul aïeul vivant de ma famille, le seul modèle de cette génération. Et quel modèle!

Grand de taille, droit comme un chêne, il dégagait l'image d'une force physique et morale à toute épreuve. Sa réputation de meneur d'hommes dans la construction du chemin de fer transcontinental canadien et surtout son rôle de Président du comité de défense des propriétaires des terres innondées dans «l'affaire du lac» aura fait de lui un colosse reconnu.

Cependant, c'est son affection pour moi qui me le rendait important. Grand-père s'attachait toujours au dernier-né de la famille. J'ai eu la chance de demeurer la toute dernière. De ce fait, je suis restée l'objet privilégié de son affection. À ses yeux, j'étais sans défaut. (Il commençait à souffrir de myopie...)

Il passait la majeure partie de ses journées dans sa chambre ou dans la chapelle familiale et je n'ai jamais compris comment il reconnaissait mon pas lorsque je passais tout près. Alors, il m'appelait: «C'est toi, ma p'tite fille? Viens me voir un peu.» Alors je m'assoyais près de lui et je l'écoutais me raconter de beaux souvenirs...

Parfois il me demandais de prier en sa compagnie, de dire un ou deux chapelets... Il avait fait la promesse de réciter dix chapelets par jour. S'il était dérangé, il demandait de l'aide et comptabilisait à son compte le nombre de personnes qui voulaient bien (?) égrener un chapelet avec lui.

Une chose que je n'aimais pas chez lui c'était ce rituel auquel il insistait à la fin de chaque repas, celui de me donner un gros bec au passage. est donc ma p'tite fille... que je prenne mon dessert... Il marquait ainsi son affection en laissant sur ma joue des séquelles de sa dernière gorgée de thé. C'est probablement là que ma mère m'a appris à accueillir avec les yeux du coeur.


À la veille de mon départ pour l'école normale de Nicolet, Grand-père me fit venir à sa chambre. Je le vois encore assis dans son fauteuil de cuir et me dire de m'asseoir près de lui. Son air sérieux me dit qu'il a des choses importantes à me dire. Il tient dans ses mains une enveloppe qu'il me tend: «C'est pour payer tes études...» Demande à ta mère de te faire un petit sac en coton pour déposer cet argent et tu l'épingleras sous ta camisole. On n'est jamais trop prudent quand on voyage en train...

Ensuite, de son regard bleu triste et plein de larme, il me dit qu'il allait partir bientôt. J'ai senti que c'était sérieux: je ne reverrais plus. Il avait 91 ans.
Deux mois plus tard, une lettre de maman m'annonce son décès et me décrit en détails la cérémonie funèbre présidée par ses fils prêtres. Je n'ai pas compris pourquoi on ne m'avait pas fait venir pour l'accompagner une dernière fois. On avait peut-être sous-estimé l'importance qu'il avait pour moi.

À mon retour à la maison, ma mère m'a remis les deux choses qu'il m'avait léguées: des jumelles achetées sur le paquebot lors de son voyage en Europe dans les années 1920 et sa couverture en laine douce que j'ai toujours vue sur son lit. Celle-ci, bien qu'un peu usée, revêtait une valeur symbolique pour moi: la douceur de son amour pour sa petite nichouette.


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