lundi 16 juillet 2007

Le quêteux


On le voyait de loin sur la route avec ses deux longues cannes, ses besaces en bandoulière et ses boîtes en fer blanc suspendues à son cou: Pierre Dumont, notre quêteux, personnage spectaculaire et énigmatique. Énorme, cheveux longs, barbe hirsute, il semblait sortir tout droit des contes de Dickens. On ne savait rien de lui. Il ne parlait que pour demander le nécessaire.

Deux fois l'an, il nous arrivait et restait chez nous durant trois jours, au grand dam de notre bonne Albertine qui en avait peur. Un jour, alors que notre visiteur venait à peine de partir, elle découvre sous le lit un sac de grosse toile rempli d'argent. Sans hésiter, elle court rejoindre notre quêteux sur la route, lui tend l'objet: «Tenez, Monsieur Dumont, votre sac à piastres!» Elle a eu droit en retour à un regard foudroyant. Depuis ce temps, un mystérieux malaise demeurait entre eux.

Six mois plus tard, il revint, comme d'habitude, toujours aussi peu loquace.

Durant les quelque vingt ans qu'ont duré ses visites, les seuls livres qu'il réclamait étaient nos manuels scolaires de géographie. Là, il entrait dans un monde qui le passionnait. Sa lecture était ponctuée de ho, de ha et de longs soupirs. Quelques questions nous ont laissé croire qu'il avait beaucoup voyagé de par le monde.


Son légendaire mutisme ne l'empêchait pas cependant d'exiger certaines choses de façon péremptoire. Par exemple, il disait à Albertine: «Ton thé n'est pas assez fort! Je veux du thé fort!» Sa façon de boire ne passait pas inaperçue: il le versait dans la soucoupe et le happait bruyamment.

La dernière fois qu'il est venu, c'était deux jours avant Noël. Nous devions célébrer les fiançailles de ma soeur Marie le soir du 25. Mes parents se sentaient à la gêne par la présence encombrante de notre vagabond pour la circonstance. Un coup de fil à cousin Paul Maltais chez qui il devait se rendre le lendemain a réglé la situation. Avant que papa aille le conduire, maman lui donna ses étrennes: deux paires de bas de laine tricotés de ses mains. Il les accepta tout en disant: «J'aurais aimé mieux des mitaines...»

- Vous en aurez l'an prochain, Monsieur Dumont!

Il n'est pas venu les chercher... pour cause de décès.

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